Cavanna : comme Charlie, immortel !
Cavanna. Un an jour pour jour et heureusement, si le camarade était parti cette année il aurait vu ce que jamais il n’aurait pensé voir. Sans déconner, qui aurait pu penser : Cabu, Wolinsky, … Lui, il est parti presque pénard, 90 piges, une moustache vissée sous le nez, aussi blanche que tous ses cheveux blancs bien accrochés sur son crâne.
François Cavanna est mort un mercredi, le 29 janvier 2014, à l’Hôpital Henri Mondor. Oui il était Charlie, lui qui avait créé Hara-Kiri et puis Charlie Hebdo.
Il était Charlie. A sa mort, les hommages furent légions, l’occasion de relire sa « Lettre ouverte aux culs-bénits » qui fut publiée chez Albin Michel en 1994. Comme le dernier dessin de Charb qui prévoit que des terroristes viendront le trouver avant la fin janvier, elle laisse aujourd’hui bouche-bée : « À l’heure où fleurit l’obscurantisme né de l’insuffisance ou de la timidité de l’école publique, empêtrée dans une conception trop timorée de la laïcité, sachons au moins nous reconnaître entre nous, ne nous laissons pas submerger, écrivons, « causons ans le poste », éduquons nos gosses, saisissons toutes les occasions de sauver de la bêtise et du conformisme ceux qui peuvent être sauvés! […] Simplement, en cette veille d’un siècle que les ressasseurs de mots d’auteur pour salons et vernissages se plaisent à prédire « mystique », je m’adresse à vous, incroyants, et surtout à vous, enfants d’incroyants élevés à l’écart de ces mômeries et qui ne soupçonnez pas ce que peuvent être le frisson religieux, la tentation de la réponse automatique à tout, le délicieux abandon du doute inconfortable pour la certitude assénée, et, par-dessus tout, le rassurant conformisme. Dieu est à la mode. Raison de plus pour le laisser aux abrutis qui la suivent. […] »
Oui, il était Charlie. Lui, fils d’une femme de ménage française et d’un terrassier italien. Son enfance, elle pue le racisme de l’entre-deux-guerres. Il en a la nausée et se raconte dans le livre Les Ritals. Raconter, encore et encore. Cet autodidacte, qui réussit son bac haut la main à plus de quarante ans aura laissé une cinquantaine de bouquins derrière lui.
Oui, il était Charlie et avait le sens de la définition du mot censure. Lorsqu’en novembre 1970, Hara-Kiri consacre sa Une à la mort du général de Gaulle en titrant le célèbre « Bal tragique à Colombey : 1 mort », il est sommé d’arrêter le journal et crée, seulement quelques jours après ce couperet, Charlie Hebdo qu’il rejoindra au moment de sa reprise par Philippe Val en 1992. Il était présent dans l’ours en tant qu’ « ange tutélaire ».
Et avant ? Avant Hara-Kiri, il a tout fait, même postier, mais il a surtout pas mal dessiné. On peut retrouver sur la toile ses premiers dessins, croqués sous le pseudo « Sepia » pour Ridendo, une revue médicale. Mais bon, il paraît qu’il n’en était pas très fier. Même si son trait fin est déjà là, ça ne mord pas encore très fort.
Oui il était Charlie, car éternel combattant. Il fut enrôlé dans le STO à 20 ans. Le jour de ses 20 ans raconte-t-il dans Les Russkoffs, auréolé du prix Interrallié 1979. On le découvre alors dans la banlieue de Berlin pour travailler en usine de munitions, déblayer des gravats ou creuser des tranchées antichars. Plus tard, il se bat contre une raideur qui ne lui sied pas en affrontant la maladie de Parkinson.
Oui il était Charlie car il ne se laissait pas faire. Quand Hara-Kiri semble lui échapper, car son co-fondateur historique, Choron, associé à André Bercoff souhaite le reprendre, il intente un procès qu’il remporte. Il restera propriétaire du titre.
Cavanna ne laissa jamais tomber l’écriture : Denis Robert, qui préparait un film sur lui, avait titré celui-ci « Jusqu’à l’ultime seconde j’écrirai ». A partir de 1998, il se consacra au cycle des Mérovingiens, publié chez Albin Michel – l’histoire restant une de ses passions- avant de se voir rendre un hommage par la ville de Nogent-sur-Marne, où fut inaugurée, en 2008, une bibliothèque municipale à son nom.
Tenter un hommage à Cavanna, est -ce bien être Charlie ? Laissons le parler alors, dans les traits de Charb qui faisait dire au vieil homme dans la bulle : « les hommages, c’est vraiment de la merde ! »
Amélie Blaustein-Niddam @amelietlc
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